Poèmes

Un Messager d’espérance vient à moi chaque jour.
Il m’offre, en échange d’une vie brève, la liberté éternelle.
Il vient, avec les vents du large, avec les brises errantes du soir,
Avec ce crépuscule diaphane qui met au ciel des légions d’étoiles.
Alors le vent chante pensivement ; les astres luisent d’un feu tendre,
Et des visions s’élèvent, et changent, et me tuent de désir...















Dieu, Dieu au-dedans de moi,
Divinité forte et puissante,
Vie, qui participe à mon être
Comme je participe à toi, vie immortelle !

Les mille Credos sont vains
Qui émeuvent les coeurs des hommes,
Vains comme des herbes séchées
Ou comme l’écume des mers...

D’un amour qui embrasse tout
Ton esprit anime les siècles,
Il me pénètre, il me réchauffe,
Il change, il soutient, il dissout,
Il me suscite et il m’élève.

Si la terre et l’homme passaient,
Si les soleils et les mondes sombraient ;
Et que toi seule demeurasses,
Vie, tout existerait en toi.

Il n’y a point de place pour la Mort,
Sa puissance ne peut anéantir un atome,
Toi, Vie, tu es l’Être et le Souffle,
Et ce que tu es ne peut être détruit.










Il devrait n’être point de désespoir pour toi

Il devrait n’être point de désespoir pour toi
Tant que brûle la nuit les étoiles,
Tant que le soir répand sa rosée silencieuse,
Que le soleil dore le matin.

Il devrait n’être point de désespoir, même si les larmes
ruissellent comme une rivière :
Les plus chères de tes années sont-elles pas
Autour de ton cœur à jamais ?

Ceux-ci pleurent, tu pleures, il doit en être ainsi ;
Les vents soupirent comme tu soupires,
Et l’Hiver en flocons déverse son chagrin
Là où gisent les feuilles d’automne.

Pourtant elles revivent, et de leur sort ton sort
Ne saurait être séparé :
Poursuis donc ton voyage, sinon ravie de joie,
Du moins jamais le cœur brisé


Emily Brontë, Poèmes, traduction Pierre Leyris, Poésie / Gallimard, 2003, p. 86



















Avec fracas dehors le vent grondait
Dans le ciel pâli de l’automne,
Froide et drue, la pluie qui tombait à flots
Parlait d’hivers de tempête proches.

Bien trop pareils à ce morne soir.
Des soupirs, d’un chagrin plaintif —
Des soupirs d’abord — mais brefs,
Doux. Avec quelle douceur exhalés !
Des mots sauvages d’une vieille chanson,
Indéfinie, sans nom —

“C’était le printemps, car l’alouette chantait.”
Ces mots-là créaient une magie —
Ils descellaient une source profonde
Qu’Absence ni Distance ne peuvent tarir.

Dans la tristesse d’un gris novembre
Ils disaient la musique de mai —
Ils ranimaient la braise mourante
D’une ferveur qui ne s’éteindrait

Éveillez sur toutes mes chères landes
Le vent dans sa gloire et son orgueil !
O appelez-moi des vallées et des montagnes,
Que je marche au bord du torrent !
Il s’est gonflé des premières neiges ;
Les rochers sont blanchis et glacés
Plus sombre ondoie autour la longue bruyère
Sur les fougères le soleil ne luit plus.



Cahiers de Poèmes - Emily Brontë






Edition José Corti - Collection romantique - Traduit par Claire Malroux

























Pour un instant, pour un instant,
La foule bruyante est écartée;
Je peux chanter, je peux sourire -
Pour un instant j'ai congé!

Où iras-tu, mon coeur harassé?
Plus d'un pays à cette heure t'invite;
Et des lieux proches, ou plus lointains
O front las, t'offrent le repos.

Il est un coin parmi d'âpres collines
Où l'hiver hurle, et la cinglante pluie
Mais si la lugubre tempête glace
Une lumière est là pour réchauffer

La maison est vieille, nus les arbres
Et sans lune ploie la voûte brumeuse
Mais est-il rien sur terre d'aussi cher
Pour l'exilé que l'âtre du foyer?

L'oiseau silencieux perché sur la pierre,
La mousse humide gouttant sur le mur,
L'allée du jardin envahie d'herbes
Je les aime tous - oh de quel amour!

Est-ce là que j'irai? ou chercherais-je
d'autres latitudes, un autre ciel
Où la langue est musique familière
Et parle en accents chers au souvenir?

Oui, comme je rêvais, la pièce nue,
Le feu vacillant se sont évanouis
Et du fond de la maussade pénombre
Je suis passée à un jour lumineux,

Une petite sente verte et perdue
Débouchant sur un vaste herbage;
Au loin, bleuâtre, irréelle, une chaîne
De monts déployée alentour -

Une terre si calme, un ciel si clair,
Un air si doux, si tendre, si ouaté
Et, pour accroître encor la féerie,
Des moutons sauvages broutant partout -

Ce paysage - je le connaissais bien
Je connaissais tous les sentiers à la ronde
Qui sinuant sur chacun des reliefs
Marquent les pistes des daims vagabonds

Si j'avais pu rester là rien qu'une heure
Cela m'eût payée de jours de labeur
Mais le réel a eu raison du rêve;
J'entends qu'on tire mes verrous -

Alors que je m'absorbais, l'oeil ravi,
dans un si profond, si précieux délice
Mon heure de repos avait fui
Me rendant à l'épuisant souci -


Emily Brontë, 
Cahiers de poèmes (José Corti, 1995)